Semaine 26.21 (no. 448) Les anémones sauvages | Musée d’art et d’archéologie | Aurillac

La formidable collection d’œuvres d’art de Jean-Claude Sergues et Bob Wilkinson a vocation à rejoindre dans quelques années les fonds conservés par les musées de la ville d’Aurillac. Afin de la faire découvrir au public, plusieurs expositions thématiques lèveront régulièrement le voile sur un pan de cette collection. Pour ce premier rendez-vous à La Sellerie, ce sont les dessins qui ont été choisis : d’Édouard Vuillard et Henri de Toulouse-Lautrec à Jérôme Zonder ou encore Matthieu Cossé, le goût des collectionneurs se révèle, éclectique et éclairé, faisant la part belle au trait et à la couleur, au corps et au paysage, mais aussi à la narration et à l’humour. Gageons que cette présentation, proposée en écho aux expositions temporaires des deux musées de la ville, permette aux visiteurs d’explorer la pertinence et l’actualité de l’œuvre des dessinateurs.

Emmanuelle Huet, Directrice des musées et des affaires culturelles d’Aurillac

Semaine n°446, revue hebdomadaire pour l’art contemporain
Texte : Emmanuelle Huet, Lilian Froger
Parution vendredi 25.06.2021
Édition papier, 16 pages, 4 €

Georges Tony Stoll, Deux formes, non daté, feutre sur papier, 29,7 x 21 cm.

D’anciens amis et de nouvelles têtes

Faisant écho aux deux expositions organisées en 2021 par les musées d’Aurillac (sur le dessin artistique au XIXe et au début du XXe siècle au Musée d’art et d’archéologie ; sur le dessin scientifique au Muséum des volcans), l’exposition Les Anémones sauvages présente une sélection de dessins contemporains appartenant à Jean-Claude Sergues, collectionneur d’origine aurillacoise, ainsi que plusieurs dessins anciens appartenant à son compagnon, Bob Wilkinson. À cette occasion, ces œuvres vont donc quitter pendant plusieurs semaines la maison où elles sont habituellement accrochées ou soigneusement rangées, pour intégrer la sphère publique. Ce n’est pas le seul déplacement – au sens propre comme au sens figuré – qu’elles vont subir. Cette délocalisation entraîne dans le même temps une autre manière de les aborder : alors que ces œuvres ont été acquises pour des raisons subjectives (le fameux « goût » du collectionneur), elles se trouvent soudain prises en charge par le musée, dont l’une des missions est de les inscrire dans une histoire plus large des arts et des formes, induisant des manières spécifiques de donner à voir mais aussi d’ordonner les œuvres (que ce soit chronologiquement ou thématiquement, par exemple).

Ces variations de présentation et de statut entre un contexte domestique et un contexte public sont toutefois en partie atténuées ici. En effet, l’exposition Les Anémones sauvages prend place dans l’ancienne sellerie des haras nationaux, devenue salle d’exposition dans les années 1980 tout en conservant son parquet d’origine, ses boiseries sombres au mur, et dont les dimensions pourraient être celles d’un salon. Sans pour autant mimer un intérieur domestique, la salle diffère malgré tout radicalement du white cube souvent de rigueur dans les institutions muséales, celui-ci conduisant efficacement à neutraliser l’environnement direct des œuvres. Le choix a également été fait de ne pas organiser les dessins de manière pédagogique ou chronologique, pour privilégier à la place des arrangements plus libres. L’accrochage est ainsi pensé avant tout par analogie : des œuvres aux formes semblables se répondent les unes les autres, un dessin ancien peut voisiner avec un autre beaucoup plus récent, et même si certains grands noms de l’histoire de l’art sont présents (tels qu’Édouard Vuillard, Raoul Dufy ou Sol LeWitt), l’exposition ne propose pas une histoire condensée du dessin depuis un siècle. Plutôt que de vouloir faire entrer les dessins de la collection dans un cadre pour lequel ils n’ont pas été réunis initialement, c’est un parcours plus lâche qui est suggéré. Presque une promenade parmi ces formes dessinées.

Jérôme Zonder, Les Fruits du dessin no 4, mine de plomb et fusain sur papier, 32 x 24 cm.
Édouard Vuillard, Soir sur la mer, 1909, pastel sur papier, 25,2 x 33 cm.

Certains sous-ensembles se dégagent néanmoins. Plusieurs portraits sont ainsi rassemblés : un autoportrait et un portrait par Max Jacob, un autre du Japonais Gokita Tomoo, un enfant au visage déformé dessiné par Jérôme Zonder. Ils résonnent directement avec les caricatures d’Henri de Toulouse-Lautrec présentées juste à côté, autant qu’avec les croquis de masques de James Ensor et les personnages au crayon de Robert Crumb. Plus loin, un groupe de dessins brouille les lignes de démarcation entre figuration et abstraction, à l’instar de La Pluie sur la terrasse (2011) de Richard Müller, du grand dessin de Dove Allouche (Surplomb 13, 2017) ou des tapis de fleurs que Raoul Dufy a tracés à l’encre en vue de servir à la production de motifs textiles. Par endroits, ce sont des formes simples qui se répondent : Les Canots (2015) de Matthieu Cossé, le Soir sur la mer (1909) d’Édouard Vuillard et deux dessins de Georges Tony Stoll, qui tous semblent avoir été rapidement esquissés sur le papier.

Matsuoka Yu, Sans titre (extrait de Carnet de voyage), 2004-2005, aquarelle sur papier, 10 x 14 cm.

Les quelques œuvres évoquées ici permettent déjà de saisir la diversité des dessins de la collection de Jean-Claude Sergues : dessins contemporains, dessins de peintres célèbres de la fin du XIXe siècle, dessins de presse, planches de bandes dessinées. L’exposition Les Anémones sauvages conserve cette variété tout en favorisant les rencontres entre les œuvres. L’accrochage est volontairement éclaté, selon un modèle constellatif que l’on retrouve par ailleurs chez des artistes aussi différents que Mrzyk & Moriceau, Yokoyama Yūichi, ou bien Wolfgang Tillmans dans le domaine de la photographie. Trois œuvres de grand format (de Dove Allouche, Matthieu Cossé et Jean-Luc Verna) structurent l’agencement : tous les autres dessins s’organisent autour, mais aucune règle n’est définie ni imposée quant à l’ordre dans lequel les appréhender. Si les dessins réunis peuvent à première vue sembler disparates – avec un accrochage qui redouble a priori cette désorganisation –, leur réunion met indéniablement en lumière une certaine continuité dans la pratique du dessin et dans la manière d’aborder le travail sur papier, de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. On perçoit aisément chez James Ensor comme chez Tom de Pékin la capacité qu’a le trait à circonscrire les formes. On saisit chez Sol LeWitt comme chez Edith Dekyndt le même besoin de représenter l’abstraction dans une évidente économie de moyens. On observe – quoique sous des formes différentes – la même minutie du trait chez Allan McCollum que chez Laurent Le Deunff.

Il ne s’agit ici que d’un extrait de cette exceptionnelle collection privée constituée depuis plusieurs années par Jean-Claude Sergues, encore jamais montrée de manière publique. La présentation de cette collection a désormais vocation à se poursuivre progressivement chaque été au sein du musée, avant d’intégrer à l’avenir les collections des musées d’Aurillac à l’occasion d’un futur legs. Pour cette première présentation, il a été choisi de s’inspirer des fleurs sauvages représentées par Matsuoka Yu sur l’un de ses dessins, les anémones étant parmi les premières fleurs à éclore au printemps. Comme une invitation, celles-ci annoncent les prochaines floraisons et expositions à venir, que l’on souhaite aussi nombreuses que possible.

Tom de Pékin, Pierre Molinier, série « Molinier est ma révolution », 2008, crayon sur papier,21,5 x 16 cm.
Laurent Le Deunff, Empreinte (Bigfoot), 2015, crayon sur papier 12,5 x 16 cm, 8,8 x 12 cm, 10 x 8,5 cm.
Jean-Luc Verna, Mon Dieu (d’après Ingres), 1998, crayon et fards sur papier, clous, 96,5 x 72 x 15,5 cm.
Richard Müller, Pluie sur la terrasse, 2011, crayon sur papier, 37 x 44 cm.
Félicien Rops, Courtoisie exagérée et Mors amabilis, non daté, crayon, encre et sanguine sur papier.
Sol LeWitt, Composition, 1992, gouache sur papier, 31,5 x 23,5 cm.
Matthieu Cossé, Les Canots, 2015, aquarelle sur papier, 46 x 151,5 cm.

Publié et diffusé par – published and distributed by Diffusion pour l’art contemporain, 67 rue du Quatre-Septembre, 13200 Arles, France. www.immediats.fr. Directrice de la publication – Publishing Director Gwénola Ménou. Conception graphique – Graphic design Alt studio, Bruxelles. Coordination et réalisation graphique – Coordination and execution Laurent Bourderon. Corrections – Proofreader Stéphanie Quillon. Traductions – Translation Jesse Kirkwood. Photogravure – Photoengraving Terre Neuve, Arles. Impression – printer Petro Ofsetas. Crédits photo – Photos credits Dove Allouche, courtesy gb agency, Matthieu Cossé, Jonas Delaborde, Laurent Le Deunff, courtesy Semiose ; Adagp, Paris, 2021, Sol LeWitt ; Adagp, Paris, 2021, Matsuoka Yu, Richard Müller, Tom de Pékin ; Adagp, Paris, 2021, Georges Tony Stoll, Jean-Luc Verna ; Adagp, Paris, 2021, Jérôme Zonder ; Adagp, Paris, 2021 © Les artistes pour les œuvres, l’auteur pour le texte, Diffusion pour l’art contemporain pour la présente édition. © The artist for the works, the author for the text, Diffusion pour l’art contemporain for this edition. Abonnement annuel – Annual subscription 62 €. Prix unitaire papier – price per paper issue 4 €. Dépôt légal juin 2021. Issn 1766-6465

Jonas Delaborde, Sans titre (Building Apocalypse City), vers 2012, feutre sur papier.

Catégorie: Semaine

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