Pierre Labat, Toute chose étant égale

Exposition du 3 au 24 juin 2017
Vernissage vendredi 2 juin à partir de 18h30
galerie quatre, 67, rue du quatre septembre
et galerie Cyrille Putman, 60, rue du quatre septembre

Entretien Anselm Aaltuv / Pierre Labat
Cet entretien a été écrit avant l’ouverture de l’exposition, après une visite d’atelier d’Anselm Aaltuv.

Anselm Aaltuv : Tout d’abord, je me permets de te faire part de mon étonnement. En effet, les collages que tu présenteras à la Galerie Quatre et à la Galerie Cyrille Putman sont réalisés à partir d’images existantes, d’images prises dans des livres. C’est la première fois que tu travailles à partir de ce matériau.

Pierre Labat : Oui. Je pense que mon travail comme professeur à l’École Supérieure d’Art de Pau depuis 2015 n’y est pas étranger. Le travail de l’image y est très fort, et ma proximité avec David Coste, artiste qui enseigne dans cette école, a changé mon regard sur l’image.

AA : D’où viennent ces images ?

PL : De catalogues Taschen achetés chez un soldeur, à Bordeaux. Je trouve ça à la fois beau et triste que ces livres, sur de grands artistes ou architectes, «finissent» chez un soldeur. Beau car si on est dans cette collection, c’est que l’on fait partie d’un certain patrimoine mondial, triste car ce patrimoine finit chez un soldeur. Mais beau encore, car cela rend cette connaissance accessible. J’ai acheté plusieurs livres mais je n’ai pu pour l’instant travailler qu’autour de deux architectes, Alvar Aalto et Mies Van Der Rohe.

AA : Des images de la modernité?

PL : Oui évidemment, mais aussi car leur bâtiments se prêtent plus à ces découpages, ou plutôt déchirements, car les images sont déchirées. J’ai acheté aussi un livre sur Ando et un autre sur Chipperfield, mais ça ne fonctionnait pas. Je déchire les images pour casser les bâtiments. Comme par un tremblement de terre ou un destruction humaine. En ce moment à Bordeaux, de très importants bâtiments industriels sont rasés, pour construire des logements d’une laideur peu commune. Ces bâtiments ont été modernes, ont été, à un endroit, un patrimoine. Mais nous les rasons.

AA : Alors c’est une destruction de l’image, tu attaques ces architectes et dénatures le travail des photographes?

PL : Bien sûr que non ! Les papiers déchirés sont collés sur une feuille de papier épais, comme les papiers anciens peuvent être conservés, en étant ainsi collés. J’aime l’idée qu’un papier soit conservé grâce à son propre matériau. L’image est conservée, mais bizarrement on peut difficilement la «reconstruire» dans sa tête. La nouvelle image, celle du collage, le graphisme et le dessin crée par la déchirure, le décalage est une nouvelle construction.

AA : Comment tu choisis les images?

PL : Il ne doit y avoir aucun être vivant dessus, ni œuvres d’art. Le bâtiment doit être vu de l’extérieur, sans que les qualités de la photographie ne l’emporte ultérieurement sur le collage. Il s’agit vraiment pour moi de créer un nouvel état de fait, celui de ces bâtiments détruits, alors qu’ils font partie de la grande histoire de l’architecture.

AA : Encore ce côté vaudou dans ton travail… Comme dans ton travail de maquette, préalable à toute exposition. Ces images sont «récupérées», comme les pierres qui constituent l’autre série d’œuvres de l’exposition. D’où proviennent-elles ? De Bordeaux, de bâtiments détruits aussi?

PL : Exactement. Je me suis beaucoup promené ces derniers mois, avec notre fille qui vient de naître. J’ai trouvé ces restes de maison dans une benne, près de chez nous. Je crois que Olivier Mosset a dit : Nos couleurs ils faut bien que nous allons les chercher d’où on vient, c’est à dire dans la merde1. En tout cas, je crois que le portrait de notre société se trouve bien dans ces endroits sans hiérarchie, sans composition, sans intérêt, sans valeur, les bennes et les poubelles. Et puis, dans beaucoup de mes travaux, il me faut trouver l’objet sans valeur, ou plutôt presque sans valeur. Donc faire tenir une pierre en équilibre sur un tige d’acier noire, dans l’espace, sans autre prétention que d’être montrée dans une pauvre perfection me semble très légitime.

AA : Ce sont des planètes, ces pierres?

PL : C’est ce que tu veux ! C’est que je viens de dire : Un agrégat de roches, qui tient en équilibre dans l’espace et qui nous parle sans rien nous dire. Donc oui, peut-être, ce sont des planètes.

AA : J’aimerai beaucoup savoir ce que tu regardes ; je vois dans ton atelier quelques magazines que je qualifierai de «magazines de déco», ou de design chic. Qu’est ce que cela vient faire à côté d’ouvrages sur Sol Lewitt ou Pedro Cabrita Reis, que je sais que tu affectionnes énormément.

PL : Je regarde ces magazines (et je sens que cela ne te plait pas) pour deux raisons : D’abord je regarde les formes; ce sont les formes de notre société, comme des idiomes  formels. Aussi donc il y a ces formes sans textes, sans «verbe» qui s’y rapportent fortement. Je lis de moins en moins la presse artistique, en France en tout cas. Pour moi, quitte à regarder des images et des formes, autant que ce soit dans ces magazines. Par contre, j’y pense à l’instant, il y a une revue italienne sur l’art que j’aime beaucoup, et depuis des années, qui mêle architecture, design et art, qui s’appelle Inventario. Ça c’est très bon!

AA : Et la deuxième raison?

PL : Car dans ces magazines d’architecture chic, comme tu dis, il y a souvent des œuvres d’art. Mal accrochées, tape à l’œil, choisies pour des raisons réellement décoratives. Et des fois d’artistes qui par ailleurs sont de qualité, comme Xavier Veilhan, Gilbert and George,… Je me dis que le jour où je suis dans ces pages, sur ces murs, il faudra que je m’interroge.

AA : Le 20 mai tu ouvres une exposition à Dijon, à Interface, avec aussi des «mobiles» et sera présenté le multiple que tu fais avec Untitled, aussi avec une pierre, aussi en équilibre. C’est quoi cette histoire d’équilibre?

PL : Ça a commencé dans l’exposition Charleston2, en 2013. Dans Atlas, une des sculptures présentées, une pierre, aussi récupérée sur un maison abattue, tient en équilibre sur une règle de maçon. L’idée première était de fait tenir la pierre dans l’espace, sans socle en dessous. Et je suis arrivé à cette solution, qu’une chose soit en équilibre avec du vide. Tout n’est qu’histoire d’accrochage. Ce qui est montré est accessoire, seul compte comment s’est montré.

AA : Et où les choses sont montrées. Que représente Arles pour toi?

PL : Des personnes. Gwénola et Laurent évidemment et surtout. Cyrille Putman, Laetitia Talbot, Rémy Fenzy, que j’ai connu à Brest, toi, … enfin je ne vais pas tous les citer mais il y a dans cette ville, et plus largement dans la région et en Camargue quelque chose qui ne relève pas du folklore mais qui est quand même très ancré dans la pierre, dans les gens, de la vie artistique, l’art en tant que recherche, que combat. Une ville qui a vu César et Van Gogh, p…, quand même ! ! ! Et y passent ou résident beaucoup d’artistes.

AA : C’est une bonne situation, ça, artiste?

PL : Tu sa

is, je ne crois pas qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises situations…

AA : Je te remercie pour cette dernière note et je te souhaite, je vous souhaite, tout le meilleur pour l’exposition.

1 : Pierre Labat place de mémoire cette phrase dans le catalogue de l’exposition La Couleur Seule, exposition qui a eu lieu au Musée d’Art Contemporain de Lyon en 1988 et qui portait sur le monochrome.
2 : L’exposition Charleston a eu lieu à l’Artothèque de Pessac de novembre 2013 à janvier 2014.

PIERRELABATG4

 

Catégorie: Galerie quatre

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