Crac Languedoc-Roussillon, Sète
exposition du 10 juillet au 27 septembre 2009
Une exposition de Denys Zacharopoulos
Antoinetta Angelidi, Katerina Apostolidou, Alexandros Avranas, Christina Dimitriadis, Apostolos Géorgiou, Constantinos Giannaris, George Hadjimichalis, Maria Klonaris / Katerina Thomadaki, Nikos Navridis, Leda Papaconstantinou, Maria Papadimitriou, Ilias Papailiakis, Eftihis Patsourakis, Georgia Sagri, Yorgos Sapountzis, Eva Stefani, Vassiliea Stylianidou, Evanthia Tsantila, Stefanos Tsivopoulos, Dimitris Tsoumplekas, Alexandros Tzannis, Vangelis Vlahos, Katerina Zacharopoulou, Maria Zervou.
Chaque été à Sète, pendant la haute saison de cette exquise station de villégiature, une grande exposition est consacrée à l’art et à la culture méditerranéens. Cette année, c’est la Grèce qui est à l’honneur et l’organisation de l’exposition, dont le CRAC de Sète est à l’initiative, a été confiée à Denys Zacharopoulos qui, après avoir été durant trente ans historien d’art, conservateur et directeur de divers grands établissements en France, est aujourd’hui le directeur artistique du premier musée d’art contemporain créé en Grèce, le musée macédonien de Thessalonique.
Présenter une sélection d’oeuvres rendant compte de la situation actuelle de l’art et de la culture dans la réalité grecque tout en évitant une vision trop générale ou folklorique a nécessité un choix délicat qui devait obéir à des axes d’interprétation tant grecs que méditerranéens. L’exposition présente 24 artistes, répartis également entre hommes et femmes, dont la moitié, nés après les années 70, n’avaient pour la plupart jamais exposé en France et parmi lesquels figurent plusieurs artistes de premier plan vivant et travaillant dans diverses régions d’Europe. L’autre moitié comprend quelques personnalités exceptionnelles qui ont ouvert la voie à une démarche non conventionnelle et contribué à l’émergence, en Europe et dans le monde, d’un art critique hautement sensible lié à la mémoire et à la position de l’homme dans le monde. Cet art développe un lien étroit avec la forme et le langage et veille à garder ses distances à l’égard du marché et des médias.
La grande question de l’identité du processus a placé la relation au narratif au centre de la conception de l’exposition et de la sélection des artistes. Les artistes choisis forment deux groupes distincts : l’un décline un récit continu qui correspond essentiellement à une structure filmique (on trouve dans ce groupe 11 femmes et un homme), tandis que l’autre est plus particulièrement axé sur le placement discontinu d’objets fragmentaires dans l’espace (où l’on trouve 11 hommes et une femme). Le premier groupe projettera chaque soir des films en plein air, tandis que le second montrera ses peintures, installations et objets dans les salles du CRAC durant la journée. Si ces deux groupes semblent exprimer une fracture abrupte entre les genres, ils ne font en réalité que souligner dans le contexte de l’exposition l’identification sociale aux rôles masculins et féminins, et non une quelconque différence « biologique ». La ligne de partage est d’ordre culturel et politique et provient de la répartition particulière des rôles et des fonctions assignée par la famille dans la société grecque. Cela est principalement lié à la gestion du discours sur la réalité ainsi qu’à la manipulation et au contrôle de la mémoire. Il convient d’aborder cette question à la lumière de la nette séparation, dans la vie sociale, entre dedans et dehors, monde intérieur et monde extérieur, structures ouvertes et structures fermées.
Les oeuvres présentent différentes séries d’informations ou d’expériences sous forme d’images en mouvement continu ou en déplacement discontinu. C’est là le concept fondamental et le principe de fonctionnement de l’exposition. Il entend proposer aux artistes la possibilité de définir une conscience contemporaine en réexaminant, voire en dénonçant le rôle respectif des hommes et des femmes dans la vie quotidienne dans la société grecque et méditerranéenne, et notamment la relation que les uns et les autres développent à l’égard de la mémoire, tant de soi-même que de la perception de l’autre. Au cours des recherches préliminaires, la distinction entre les deux types d’image, image peinte ou image cinématographique, muette ou parlante, immobile ou animée, a ouvert un champ de développements inattendus qui ont permis d’élargir le sens de la démarche adoptée au départ. Ainsi sont proposées de multiples ouvertures possibles permettant de décrypter de façon plurielle et variée les habitudes et les oeuvres, ainsi que les liens existant entre les deux.
La séparation des rôles respectifs de l’homme et de la femme apparaît de façon éclatante dans l’un des romans les plus concis et les plus convaincants d’un grand écrivain grec internationalement reconnu, Costas Taktsis, roman d’où a été tiré le titre de cette exposition. Taktsis est mort de mort violente il y a vingt ans dans des conditions qui restent non élucidées. Ses deux oeuvres majeures, Le Troisième Anneau (1961) et sa suite, La Petite Monnaie (1972), ont été publiées en de nombreuses langues (les deux romans ont paru en français aux éditions Gallimard, en 1974 et 1987). La conception de l’exposition n’a pas cependant commencé par le texte et ne constitue e aucun cas son illustration. Une fois l’angle d’attaque de l’exposition mis en place, le choix des artistes, le mode de présentation et le concept, établis, le texte de Taksis est apparu soudain comme une évidence longtemps murie dans l’inconscient et d’une véritable pertinence et actualité. La « Première image » est le titre du dernier chapitre, ou dernière nouvelle de La Petite Monnaie. L’ambiguïté entre fragment et totalité a été délibérément entretenue par l’auteur lui-même afin de souligner son questionnement sur les relations entre parties et entités distinctes, discours continu et réalité discontinue. Reproduit intégralement dans le catalogue, le texte de Taktsis constitue la meilleure formulation possible du problème soulevé ici, aussi bien dans la façon dont il l’aborde que dans la manière dont il traite des questions formelles du langage et de la réalité, de la mémoire et de la narration, de l’image et de l’icône. Dans leurs discussions préparatoires, les participants à l’exposition l’ont ressenti comme une sorte de courant souterrain et d’expérience irremplaçable, et, trente ans après, ce processus de questionnement autocritique demeure pour beaucoup d’artistes une sorte de base par rapport à laquelle se situer.
Le thème choisi par le Festival du Film de Thessalonique pour célébrer son demi-siècle d’existence (un anniversaire qui coïncidera avec les trente ans du Musée macédonien d’art contemporain) est formulé dans une phrase d’un autre créateur dont la personnalité n’est pas sans rappeler Taktsis, et qui est lui aussi un enfant de l’Europe du Sud : Jean Renoir. La citation extraite de son oeuvre fournit un contexte idéal pour réfléchir sur « l’amour de la réalité en tant qu’illusion » et « la haine de la réalité comme un voile qui sépare les êtres de la réalité des choses ». Les deux types d’image obligent les artistes qui veulent maintenir vivant le cinéma à « chaque jour, réinventer totalement les choses les plus simples ». Réinventer jour après jour la « Première image » est l’objectif que se sont fixé les 24 personnes – est-ce tout à fait un hasard si ce chiffre renvoie au nombre d’heures d’une journée ? – réunies à Sète dans le cadre de cette exposition. Vingt-quatre personnes, une moitié d’hommes et une moitié de femmes, une moitié d’espace clos et une moitié d’espace ouvert, une moitié de jour et une moitié de nuit, une moitié d’intérieur et une moitié d’extérieur, une moitié de continuité et une moitié de fragmentation se rejoignent dans et hors le centre d’art, développent des projections et condensent des icônes dans un but qui n’est pas celui de renforcer l’état défini des choses. Bien au contraire, ils cultivent les techniques du doute et de la méfiance afin de réinventer chaque jour la signification, le sens qui nous délivre du préjugé et nous évite la sclérose de l’âme humaine.
Denys Zacharopoulos (Traduit de l’anglais par Gilles Berton)
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