C.B.-H. En juxtaposant volumes architecturés, dessins et volumes, en représentant des scènes insolites, tes œuvres créent des situations visuelles qui sollicitent l’imaginaire du regardeur. Pourtant tu revendiques une démarche faite de constats factuels. Quelle place tient l’énigmatique ou l’incongru dans ton travail ?
S.N. Ces notions entrent par effraction dans mon travail. Le réel est mon espace de réflexion et l’observation joue un rôle central dans les processus par lesquels émergent les œuvres. Je n’essaie jamais d’échafauder des œuvres via l’imaginaire. Il me faut puiser dans ce que j’ai vu ici ou là, ce que j’ai noté, ce qui existe déjà ailleurs que je vais reformuler en combinant des objets parfois distants, ce qui peut créer de l’inconnu. J’essaie souvent de rendre visible ce qui ne l’est pas, des relations, des sentiments, et forcément, quand on essaie de donner une forme à l’invisible, cela produit des étrangetés visuelles. La série Luftgebäude en est un bon exemple. Ce terme allemand signifie « élucubrations » mais littéralement peut se traduire par « constructions faites avec de l’air ». Je suis partie de cette idée, donner forme à ce qui se construit dans l’air, qui est normalement invisible. Cette idée a rencontré un objet, en l’occurrence des photographies d’auras vues dans un livre. Mon travail tente cette même entreprise : capturer la présence invisible d’un corps au-delà de lui et capturer des phénomènes colorés étonnants. Les deux choses combinées donnent des formes colorées à l’encre prenant place dans des dessins au crayon gris. Elles matérialisent sur le papier des interactions, des sentiments, des relations entre différents objets ou personnages. Et tout ça, les formes étant abstraites, produit des énigmes…