Exposition du 18 janvier au 08 mars 2019
Centre d’arts Fernand Léger
Port-de-Bouc
Pour la sixième édition du Talent’Arts, cycle d’exposition destiné à la jeune création contemporaine, le Centre d’Arts Plastique Fernand Léger accueille l’exposition PARALLEL, une proposition de deux jeunes diplômées de l’école d’art supérieure de Toulon, Caroline Mary et Virginie Sanna, s’insérant dans la thématique de recherche 2018/2019 dédiée à la Passerelle, d’un monde à l’autre.
Nourrie de ses origines et de son vécu Calédonien, Caroline Mary possède une approche plastique qui tend vers l’organique. Ses inspirations résonnent avec le monde végétal et minéral mais ne créent pourtant rien de figuratif. Ses échanges avec la matière guident la progression de son œuvre où l’expérimentation tient une place prépondérante. Les qualités intrinsèques des matériaux sont prises en compte dans l’élaboration de chacun de ses travaux dont certains peuvent renvoyer à des aspects de l’artisanat, comme les étoffes de Moisissures sur Soie ou l’utilisation de la céramique. Pléthore d’analogies sont possibles avec l’œuvre de l’artiste, car elle insiste sur ce point, son travail présente des formes, il n’en représente pas.
Virginie Sanna envisage une approche conceptuelle et analytique en s’orientant vers des œuvres géométriques abstraites et sérielles. Via un protocole elle délègue l’étape de composition ; il expose les intentions, l’ensemble des conditions à remplir et des contraintes à respecter. La rigueur de l’organisation est modulée par le hasard et les choix aléatoires de la composition régissent l’œuvre. L’abandon des décisions de l’artiste révèle les caractéristiques du matériau et la diversité des possibilités. Le geste est d’abord défini par une forme, puis méthodiquement Virginie Sanna l’accomplit avec une intuition relevant d’une pulsion modérée.
Dans PARALLEL, le travail de Caroline Mary et Virginie Sanna dialogue de façon inédite. Les deux artistes mènent une réflexion sur les formes, la matière et l’espace de façons différentes, voire opposées, et pourtant une complémentarité se révèle par le biais de leurs regards parallèles et singuliers. Leurs démarches convoquent des pratiques fondées sur un aléatoire qui permet de répondre à des questions dépendant du matériau. Leur position d’auteure est ainsi remise en question alors même que tout type de figuration est impossible.
L’espace s’ouvre sur une dichotomie frontale entre la couleur fascinatoire mais aussi chatoyante permise par le textile associée à un foisonnement formel répulsif des Moisissures sur soie de Caroline Mary et l’épuration chromatique et géométrique des Cubes 15 de Virginie Sanna, éclatés sur le dallage. Les Moisissures sur soie sont des impressions photographiques sur soie de clichés macro figeant un instant précis de la décomposition et moisissure alimentaire. La macrophotographie en grand format implique un changement d’échelle et le regard diffère alors sur l’objet photographié. Il peut révéler des choses surprenantes en terme de textures, formes, échelles…etc. Un contraste se crée entre support et sujet, matière et image, puis il semble que l’esthétisme prenne le pas sur le préjugé. Au sol, les Cubes 15 sont au nombre de 7 avec un format récurrent : 15 cm. Avec cette pièce, Virginie Sanna a puisé dans le vocabulaire traditionnel de la sculpture, par l’utilisation de la masse et du burin, qu’elle conceptualise dans une œuvre qui se définit par l’importance de son protocole. Elle part d’un système, dans le sens mathématique du terme, soit un ensemble de propositions ayant pour objet l’étude des compositions combinatoires. A mi-chemin entre contrôle préalable et aléatoire pur, il s’agit cubes après cubes, de répéter sur une même forme, un même geste afin d’en créer des variations. La force de l’oeuvre tient dans l’aspect sériel du processus créatif. Les pièces sont réalisées in situ. Il existe pour le temps de l’exposition et les formes sont ensuite remplacées par des nouvelles lors d’une nouvelle monstration. Cela attribue au travail sous sa forme physique une dimension éphémère.
Le rapport au protocole et à l’aléatoire se retrouve dans l’essence même du travail global de Virginie Sanna. Elle fait alors intervenir l’Intelligence Artificielle permettant de distinguer la phase conceptuelle et compositionnelle de l’œuvre de sa réalisation plastique, du geste-même de l’artiste. Pour 400 carrés 4 noirs, mais également les œuvres que l’on retrouve dans la deuxième salle, Virginie délègue l’étape de composition de l’œuvre à un programme informatique dans lequel elle fixe ses intentions, les conditions et contraintes à respecter dans l’exécution d’une peinture. Le programme compose alors une toile faite de carrés peints aléatoirement. Il s’agit ici de 400 carrés noirs et de 4 noirs, l’un « naturel » et les autres majoritairement composés de 3 couleurs primaires (cyan, magenta, jaune). Le voisinage des différentes nuances a été déterminé par le programme suivant un procédé aléatoire, alors que les mélanges sont réalisés selon des règles de peinture classiques précises. Il est donc bien question du geste et non de la gestualité. Sur la toile, le geste dépose la peinture, plus épaisse parfois, la direction est sous-entendue par une construction qui détermine le point de départ et d’arrivée, tenant compte des dimensions et de l’organisation interne du support.
Le processus stochastique parallèle de Caroline Mary se retrouve avec la petite pièce intitulée Curiosités (Il s’agit de la sélection d’une installation de 100 objets constitués de cotons hydrophiles imbibés de sang puis séchés de différentes manières) et dans le Polystyrénophage, une structure faite de polystyrène et de résine polyester. La résine polyester est agressive envers le polystyrène, elle le ronge en fumant, crevant son ventre expansé jusqu’à ce que sa descente corrosive soit figée par l’action du catalyseur. Dès lors que tout est immobile, la forme est là, encore camouflée par le surplus léger et blanc, qui évoque là encore l’aléatoire de l’évolution des moisissures. Armée d’un grand couteau il ne reste alors plus qu’à le découper pour révéler l’identité visuelle que l’esclandre chimique a provoquée, telle une éruption contenue.
Plus intimiste par sa sobriété d’ensemble, la seconde salle dévoile au sol dans une lumière tamisée les Terres plissées de Caroline Mary. L’artiste conçoit ici des sculptures où la distance entre matière et geste s’affirme, où la pureté du lâcher-prise s’oppose à la contrainte classiquement intrinsèque du volume, au profit d’une dimension esthétisante opportuniste. Faisant intervenir la gravité comme impact physique et interprétation poétique de l’attraction, Caroline lâche dans le vide des bandes de grès qui s’agrègent aléatoirement pour former des monticules évoquant la douceur et la fragilité du textile.
Aux murs, se répondent deux œuvres liées à la question du langage :
Le Répertoire d’attitudes permet de mieux appréhender le geste sculptural de Caroline. Il ne contient que des verbes d’actions en rapport direct avec son travail. Ils ne sont listés qu’à posteriori, l’oeuvre finie, contrairement à Richard Serra pour qui sa « Verb list » (1967) était « un moyen d’appliquer des actions diverses à des matériaux quelconques. » Par conséquent ses travaux ne sont pas définis par cette liste, ce sont eux qui la définissent.
NCJM de Virginie Sanna qui se compose des quatre nuances de noir (noir, noir cyan, noir magenta, noir jaune). La lettre de chaque nuance est travaillée pour devenir un pur élément visuel qui superposée crée de multiples formes géométriques simples. La lettre devient un matériau libéré de toute signification si ce n’est la traduction de chaque carré de peinture.
Virginie Sanna conclut la mise en espace avec trois acryliques relevant de ses processus d’Intelligence artificielle et des dessins à l’encre. Ces derniers intitulés Fractures, sont issus de précédentes fragmentations des Cubes.15. On y retrouve l’inclinaison de la forme originelle par une superposition de gestes et de traits, suscitant déchirements et lacérations. Nous sommes ici dans un principe de régénération à comprendre comme une idée de renouveau physique. Le dessin constitué de différentes valeurs de gris, d’effets de matière ou de texture requiert une certaine précision du geste laissant une place à la spontanéité, à l’intuition, voire à la pulsion. La trajectoire trouve des limites pour redéfinir un territoire, une nouvelle forme.
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